Aimer quelqu’un, c’est à tout coup une aventure haute en couleurs ! Que ce soit l’inconditionnel amour d’une mère pour son enfant, l’enivrant coup de foudre qui vous aveugle complètement ou la douce complicité qui unie deux amis, l’amour est une chose abstraite, volatile, que l’on ne peut ni commander, ni manipuler. Et il est parfois cruellement fragile…
Il y a fort longtemps, dans une contrée lointaine, vivait une extraordinaire jeune fille prénommée Morgane. Morgane possédait une voix et un cœur en or. Quelques années auparavant, sa mère, que l’on disait sorcière, était morte en lui donnant la vie. Alors, un géant sombre et cruel, éperdument amoureux de sa défunte mère, l’avait recueillie dans son noir château surplombant le village et élevée comme sa propre fille. Bien entendu, la triste histoire apporta une abondance nouvelle aux potins du village qui allèrent même jusqu’à attribuer au géant Baudelaire la paternité de la délicate enfant. Mais les malveillantes commères finirent par se taire et les accusations scélérates furent vite oubliées quand, à l’entrée du village, se présenta une ravissante petite enfant qui, disait-elle, se cherchait des amis. C’est ainsi qu’ils apprirent à connaître la lumineuse petite fille qu’était Morgane de Vallée. Elle devint vite l’enfant chérie au village où elle passait le plus clair de son temps à se balader en chantonnant de sa voix pure et claire de merveilleuses mélodies qui, comme par magie, répandaient la joie et redonnaient le sourire à tous les cœurs meurtris.
Ainsi Morgane de Vallée avait grandit, s’épanouissant chaque jour un peu plus, à la manière sublime et surprenante d’un papillon.
Un jour, du haut de ses seize ans, la belle Morgane annonça au géant Baudelaire qu’elle partait vivre avec son fiancé, le valeureux prince Abdel. Ce jeune homme n’était pas un prince ordinaire. C’était LE prince charmant ! Fils d’Ézulgur, souverain du royaume de l’est, il était beau, grand, d’une rare intelligence et d’un romantisme exaltant. Abdel, lui avait donc promis abondance, bonheur et fidélité si elle le suivait jusque dans son palais, un château tout de marbre blanc.
Morgane annonça la nouvelle à son presque père qui ne voulu rien entendre. Par quelle ingratitude osait-elle l’abandonner ? Lui qui, pendant toutes ces années, l’avait nourrie, logée, protégée et, même s’il ne l’admettrait jamais, aimée. Le géant, fou de colère et de chagrin, enferma la belle enfant dans une grande prison de verre à ciel ouvert au sommet de la plus haute tour du château. Sa cellule, pour le moins étrange, ressemblait en tous points à une coupe de vin. Une fine paroi de cristal, tout en rondeur, la composait. Elle s’usa les ongles à tenter de s’évader, mais en vain.
Au troisième jour, Abel, inquiet, décida d’affronter la montagne malgré la pluie torrentielle et de se rendre au château. À quelques kilomètres de la demeure du géant, alerté par de violents éclairs, il leva les yeux au ciel et aperçut sa douce princesse dans la prison inondée. Aussitôt, le prince chevaucha Vladimir, son fidèle dragon, et s’envola jusqu’à la tour de sa fiancée.
Le niveau de l’eau dans la cellule de verre était si haut que les pieds de Morgane frôlaient à peine le sol. Quand Abdel se souvint qu’elle ne savait pas nager, son cœur se serra et il talonna Vladimir, l’implorant d’aller plus vite.
Enfin parvenu à la prison de cristal, il dégaina son épée et l’abattit de toutes ses forces sur la paroi limpide. Pas une seule égratignure ! Puis Vladimir propulsa sa lourde queue contre le verre. Toujours rien ! Les deux acolytes livraient une bataille acharnée contre l’impénétrable cellule lorsque le prince eut une idée.
– Morgane ! cria-t-il en martelant énergiquement le verre de ses poings pour attirer son attention.
La jeune fille, qui se débattant pour garder la tête hors de l’eau glacée, se tourna vers son prince en posant sur lui de grands yeux emplis de détresse.
– Morgane, chante ! Chante comme jamais ! De toute ta voix, Morgane ! Chante ! hurlait Abdel, la voix brisée par une vive émotion.
Sans trop comprendre, elle s’exécuta. D’abord faiblement, d’une voix hésitante entrecoupée par les flots qui la submergeaient, puis avec de plus en plus d’assurance. Soudain, le soleil apparut, dispersant de ses rayons de lumière les nuages de grisailles et bientôt, le gris du ciel s’était évaporé en emportant pluie, tonnerre et éclairs avec lui.
Ce signe des Dieux encouragea Morgane qui, à présent, s’époumonait littéralement. L’écho de sa voix se fit entendre à travers les champs et les montagnes jusqu’au village. Mais la vraie magie ne s’accomplit que lorsque se mit à vibrer la paroi cristalline. Un sourire empli d’espoir illumina le beau visage d’Abdel. Les vibrations s’intensifièrent furieusement, puis le verre explosa. L’eau de pluie maudite emporta alors Morgane hors de sa prison maléfique, l’entraînant dans une chute vertigineuse lorsqu’un vif réflexe de Vladimir lui sauva la vie.
Libérée de l’emprise du géant Baudelaire, dans les bras de son bel amoureux, sur le dos du vaillant Vladimir, Morgane salua de grands gestes de la main les villageois de la contrée de son enfance. Et Morgane de Vallée partit de par la forêt, vivre sa vie avec le merveilleux prince Abdel, son sauveur qu’elle épousa.
Quant au géant Baudelaire, on ne le revit plus jamais. Certains racontent qu’il s’est noyé dans son chagrin. Mais d’autres, plus audacieux, disent qu’il eut la gorge tranchée par un éclat de verre lors de la fuite de sa protégée.
Cette tragique histoire aurait pu se résumer en un seul proverbe bien connu : si tu l’aimes, laisse la vivre. Simple, pas si extravagant, rien que le doux désir d’indépendance d’un enfant à qui on a si bien appris à voler. Baudelaire, cet être différent, si souvent repoussé, n’ayant connu nul autre amour que celui de sa Morgane, l’aura appris à ses dépens…
Les temps sont lointains, me direz-vous, mais la réalité encore bien présente. Si un jour l’inspiration, le courage ou la raison vient à vous manquer, mouillez votre doigt et passez-le sur le contour d’un verre. On peut encore y entendre l’écho de la voix pure et claire de Morgane de Vallée, celle-là même qui, il y a bien longtemps, changeait les larmes en rires.
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Pas de commentaires, j'étais dans ma phase "peace on heart"
Texte corrigé par la gentille Carole Lussier